Rauschenberg
La chèvre vue par R. Rauschenberg:
Monogram
http://www.lukechueh.com/images/other_images/Rauschenberg%20Monogram.jpg
Cette
oeuvre, devenue la plus célèbre de l'artiste américain, doit sa
naissance au hasard. En 1955, Robert Rauschenberg achète cette chèvre à
un marchand de fournitures de bureau new-yorkais, qui a commandé par
erreur - quelle drôle d'erreur ! - cet animal empaillé. Il se souvient
alors certainement que, enfant, il avait eu une chèvre appelée Billy.
Devenue la mascotte de la maison familiale de Port Arthur (Texas),
maison située près d'une usine fabriquant des pneus, elle fut tuée un
beau jour par le père du gamin.
Bien des années plus tard, ce même
père, évoquant les oeuvres de son fiston, s'étonnera qu'il puisse «
vendre des merdes pareilles ». Mort en 1963, cet employé d'une
compagnie d'électricité ne fut sans doute pas mécontent de voir que «
Monogram » (titre de la composition avec la chèvre) fut refusé par le
MoMA de New York alors qu'un collectionneur proposait pourtant de
l'acquérir pour en faire don aux collections du musée américain. C'est
seulement en 1965 que l'oeuvre fut achetée par le Moderna Museet de
Stockholm, dont elle devint l'un des emblèmes. On a beaucoup écrit sur
cette pièce, certains allant jusqu'à y voir une connotation sexuelle,
Rauschenberg se contentant quant à lui de préciser que l'imbrication de
l'animal et du pneu venait évoquer l'entrelacement des caractères dans
un monogramme. Sur la toile servant de socle à la chèvre, un collage
montre la photo d'un minuscule funambule : est-ce l'image de l'artiste
soumis aux lois d'un équilibre fragile ?
En fait de fragilité,
l'exposition que le Centre Pompidou consacre à la création du peintre
entre 1953 et 1964 vient rappeler, si besoin était, l'incroyable
pouvoir d'évocation de ces « Combines ». Au début de l'aventure qui
s'ouvre ici, Robert Rauschenberg est âgé de 28 ans. Ami de John Cage et
de Merce Cunningham qu'il a rencontrés au mythique Black Mountain
College en Caroline du Nord, Rauschenberg fait bientôt la connaissance
de Jasper Johns à New York. Sur la scène artistique américaine,
l'expressionnisme abstrait triomphe : Pollock, Motherwell, De Kooning
cultivent « l'expérience intérieure du réel ». Une expérience dont
Rauschenberg se détourne. Ses premières oeuvres - tableaux noirs,
blancs ou rouges - se veulent d'ailleurs une sorte de réponse à cette
déferlante de l'expression de soi. Rapidement, Rauschenberg réalise des
oeuvres dans lesquelles les objets font leur apparition. C'est la
naissance des « Combines », créations hybrides mêlant sculpture,
peinture, collages. Morceaux de tissus, photographies, coupures de
journaux, feuilles de papier sont les éléments des premiers assemblages
où le grouillement des images est soumis à la peinture qui, au gré des
interventions, estompe, masque, souligne les pièces rapportées sur la
toile. « Je ne pense pas aux tableaux des autres », affirme
Rauschenberg qui n'en a pas moins regardé Dada, Kurt Schwitters et,
lors d'un séjour à Paris à la fin des années 1940, Matisse et Picasso.
Mais ce qui le guide avant toute chose, c'est une insatiable
gourmandise : « Travailler est une joie », dit-il. Et de préciser
encore que l'art est à ses yeux « un moyen de fonctionner à fond et
passionnément dans un monde qui offre bien d'autres choses que de la
peinture ».
Dans le formidable bouillonnement qui agite alors la
scène artistique américaine, Rauschenberg multiplie ses chantiers. En
1954, retour d'un voyage en Europe et en Afrique du Nord (où il
travaillera, à Casablanca, sur un chantier de construction), il réalise
un décor pour « Minutiae », une chorégraphie de Merce Cunningham qui
sera créée le 8 décembre de la même année à la Brooklyn Academy of
Music, sur une musique de John Cage. Rauschenberg conçoit une
installation composée à l'arrière-plan de deux panneaux, un troisième
situé à l'avant permettant aux danseurs de passer à travers la
construction recouverte de bandes de peinture, de papiers collés et de
bandes de tissu colorées, tandis qu'un miroir tournant sur lui-même
renvoyait sur la scène les éclats de la lumière des projecteurs. Une
oeuvre imparfaite mais une oeuvre clef, qui marque le véritable début
de l'aventure des « Combines », mot que Rauschenberg utilise à l'image
de Calder confectionnant ses « Mobiles ».
A partir de ce moment,
Rauschenberg paraît comme libéré. Les objets de toute nature
envahissent ses compositions. Poules, faisans, échassiers empaillés
voisinent désormais avec des reproductions de tableaux trouvés, des
vieilles chaussettes, des cravates, des pneus, des ampoules, des
parachutes, des photos découpées dans les magazines et les journaux.
Cet incroyable bric-à-brac est toujours confronté à la peinture et à la
sculpture, donnant à ses oeuvres - comme « Interview » ou « Odalisk » -
l'allure de totems que le spectateur découvre à la manière d'un rébus
(« Rebus » étant d'ailleurs le titre d'un de ces « Combines »).
Ce
déluge d'images, de peintures, de volumes, de couleurs a été qualifié
en son temps de junk art, d'art des poubelles. Il suscite évidemment le
scandale, comme lors de l'exposition organisée par Leo Castelli à New
York en 1958 : une seule oeuvre, le légendaire « Bed », sera achetée...
par le propriétaire de la galerie. Six ans plus tard, lorsqu'il reçoit
le grand prix de la Biennale de Venise, même tollé. A Paris, le journal
« Combat » parle d'« un affront fait à la dignité de la création
artistique », tandis qu'au Vatican « l'Osservatore romano » stipendie «
la défaite totale et générale de la culture ». Il arrive heureusement
parfois que le temps devienne l'allié de l'art. Le rassemblement d'une
centaine de « Combines » au Centre Pompidou vient mettre en lumière la
force extraordinaire de ce grand foutoir lyrique inondé de couleurs, de
formes, de signes, de volumes. Rauschenberg - aujourd'hui âgé de 81 ans
- a affirmé lors d'un entretien qu'il avait voulu « emmener la peinture
là où elle n'était jamais allée ». Mission réussie. Jamais la peinture
n'a paru aussi proche de la violence et de la poésie.
Bernard Géniès
Le Nouvel Observateur - 2190 - 26/10/2006
film d'animation, 4 minutes, 2003
Le film d'animation prend comme point de départ la célèbre oeuvre de Robert Rauschenberg intitulée Monogram. Cette "combine", comme se plaisait le peintre à nommer ce mélange sculptural fait de peinture et d'objets, était composée d'un grand tableau placé au sol sur lequel reposait une chèvre empaillée, elle-même affublée d'un pneu autour de la taille.
After Monogram ressuscite l'animal qui finira bien par se débarrasser de son pneu avant d'entreprendre une série d'aventures faite de glissades, de culbutes et de chutes sur le terrain de la création picturale.Inscrivez-vous au blog
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